23/01/2004

Haro sur la banalisation des points de vente

Dossier publié en 2003 dans la rubrique "tendances" de l'Usine Nouvelle n°2887



Haro sur la banalisation des points de vente !

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Le design commercial ce n'est pas qu'un bon look et un soupçon de déco. Une boutique séduisante c'est un espace de bien être et d'expériences. L'enjeu est de taille : la différenciation, passage obligé pour les grandes marques.

Une fièvre de relifting saisit les grandes enseignes. La Fnac, Façonnable, Mc Do, Devernois, Princess Tam Tam... du pur distributeur aux marques d'industriels avec réseaux de boutiques, dans tous les secteurs on réaménage, on rajeunit, et surtout, on repense la place d'un magasin dans son environnement. Objectif dans tous les secteurs : mieux se démarquer ! « Dans les années 90, les marques ont développé leurs réseaux et occupé le terrain. Elles ont fini par toutes se ressembler et proposer quasiment la même chose. On perçoit aujourd'hui un certain « ras le bol » de la part des consommateurs qui se sentent cernés par une profusion de boutiques déclinées à l'identique. L'effet de surprise a disparu. Les marques réalisent aujourd'hui qu'elles doivent mieux se différencier et contrer cette lassitude », analyse Joël Desgrippes de l'agence de design Desgrippes Gobé (concepteur des nouvelles boutiques Façonnable, Stéphane Kelian, Jacadi, Go Sport, Pantashop...). Une tendance lourde, qui prend de multiples formes : retour au « Home sweet home », ambiance cosy, meilleure harmonie avec le paysage urbain, lieux de vie, voire lieux d'expériences. Toutes ces tentatives de relifting s'intègrent dans des stratégies marketing qu'il faut savoir appréhender, mesurer et diriger avec minutie. Pourquoi et à quel moment les grandes enseignes décident-elles de modifier leurs magasins ? Qu'ont-elles à y gagner ? Comment fabrique-t-on une ambiance conviviale, moderne ou décontractée. Quelles seront les grandes tendances de l'architecture commerciale de demain ? Revue de détail.

La boutique est le reflet concret et palpable de la marque
Cabines d'essayage roses et capitonnées, couleurs chaudes et réconfortantes, les nouveaux magasins du fabricant de lingerie Princesse Tam Tam, lancés il y a trois mois à Nice, Villeneuve d'Asq et Lille affichent les nouvelles ambitions de la marque. « Depuis quelques années, nos produits sont entrés dans une ère de séduction et de romantisme, explique Loumia Hirijdee, créatrice et directrice de la marque. Il fallait donc imaginer un nouveau concept qui corresponde à ce changement de personnalité. Ensuite, nous avons observé que nos concurrents, de plus en plus nombreux, jouaient tous la carte de la neutralité dans l'aménagement de leurs boutiques. Il nous fallait donc, pour surprendre nos clientes et en séduire de nouvelles tenter de nous différencier ». C'est ainsi que la marque et l'agence de design Saguez & Partners se sont attelées à imaginer un concept « plus Princesse que Tam Tam » pour une enseigne qui prenait le cap de la féminité, du charme et de la séduction. Grâce à sa nouvelle ambiance feutrée, chaleureuse et protectrice, la marque devrait rapidement troquer son image de boutique réservée aux jeunes filles sages ou désinvoltes contre celle d'une marque de femme contemporaine et séductrice.

Pas de doute, le « relookage » est bien plus qu'un simple changement de décorum. Et pour cause ! La boutique est le reflet concret et palpable de la marque. Avec à la clé, la fidélité du client. Selon le designer Olivier Saguez, à l'origine des boutiques Promod, Princesse Tam Tam, Aigle, Lynx Optique que New Man, « le plus difficile n'est pas de faire venir les gens dans les magasins, c'est de les faire revenir. Si le concept du magasin ne correspond pas aux promesses de la marque, s'il est en décalage avec la qualité des produits, les consommateurs peuvent percevoir un mensonge, une tromperie. La sentence est alors très lourde : ils ne reviennent pas ! Le danger du simple relookage c'est qu'il se démode vite et qu'il n'est pas toujours étudié en fonction des besoins de la marque, de sa personnalité»
Quand Devernois, le fabricant roannais de prêt-à-porter féminin, décidait il y a trois ans de revoir le design de l'ensemble de ses magasins, il s'agissait de conquérir une clientèle de femmes actives d'une quarantaine d'années et de rajeunir l'image même de la marque. Histoire de toucher de nouvelles consommatrices et donc, d'augmenter le trafic en boutiques. « Le nouveau style, épuré et plus moderne que nous dupliquons désormais systématiquement sur l'ensemble de notre réseau, nous a permis d'augmenter de plus de 20 % en moyenne notre chiffre d'affaires en magasin », confirme Robert Corre, responsable du développement chez Devernois. Il en va de même pour les Cyrillius, Naf Naf et autres Kookaï. Aujourd'hui ces marques continuent bien sûr de faire évoluer leurs concepts, mais elles réfléchissent avant tout à des changements plus fondamentaux et préparent l'avenir.

Le « bien être » est dans tous les esprits
Le récent débarquement dans les centres commerciaux du « fun shopping » anglo-saxon n'est pas étranger à la réflexion que mènent aujourd'hui les marques. Réintroduire le plaisir, favoriser la convivialité, ou transformer les espaces commerciaux en lieux de vie sont les nouveaux credo des états majors des chaînes de magasins. Du coup, la tendance dominante, dans les secteurs de la mode mais aussi chez les opticiens ou dans les chaînes de restauration, est un retour à des styles plus épurés, plus clairs, qui simplifient la vie des clients et facilitent la prise de repères. C'est tout l'esprit de la nouvelle boutique Louis Vuitton ouverte début septembre avenue Montaigne, au pied du nouveau siège de LVMH, sa maison mère. La simplicité du style et des couleurs, l'espace, l'utilisation de la lumière, tout a été pensé en fonction de ces critères. Le malletier est d'ailleurs précurseur dans ce domaine puisque Louis Vuitton développe depuis longtemps déjà ce type de concepts.
Clairement, le « bien être » est dans tous les esprits. Et l'atmosphère plébiscitée par les marques et les designers est le « comme chez soi ». C'est ce que le nouveau concept de Façonnable propose à ses clients depuis l'ouverture en octobre 2002 de ses nouvelles boutiques à Lyon, Paris, St Tropez et demain à New York. Pour recréer une ambiance de « home sweet home » cosy et chaleureuse, la marque fait plancher l'agence de design Desgrippes Gobé. Le résultat ? Alors qu'autrefois les clients parcouraient des étals où s'entreposaient chemises, pulls et pantalons dans un décor classique et uniforme, ils visitent aujourd'hui les pièces d'une maisonnette. Une bibliothèque pour présenter les chemises, deux salons pour vendre les collections homme et femme, une pièce plus décontractée pour la gamme jean, etc. Le tout en blanc, chrome et acajou. Canapés, fauteuils, tapis, niches et corniches venant peaufiner l'ambiance. Ainsi la marque qui n'avait pas revu son concept depuis plus de vingt ans gagne en modernité tout en conservant ses valeurs d'origine, le chic anglais mâtiné de teintes azuréennes (Façonnable est basée à Nice). « L'avantage c'est que nous conservons toutes nos collections dans une même boutique en proposant différents univers qui rompent la monotonie, explique Katherine Melchiorkay, directrice marketing international de Faconnable. Et nous enregistrons une augmentation de notre chiffre d'affaires de l'ordre de 15 à 20 % dans nos boutiques ainsi rénovées. »
Mais il faut aussi repenser la façade. « Nous adaptons notre concept et nos vitrines en fonction de l'architecture locale », souligne toujours Katherine Melchiorkay, chez Façonnable. Se fondre dans l'environnement et l'architecture des lieux et des villes, respecter l'environnement urbain, voilà l'autre grande tendance du moment en matière d'architecture commerciale.
ET qui l'eut cru, l'un des initiateurs de ce mouvement est le groupe Mc Donald's France. Depuis bientôt cinq ans, le géant du fast-food rénove et construit ses restaurants en déclinant trois ambiances (montagne, sport et musique) et quatre styles (« 99 », « Amérique », « Nouveau Monde » et « génération Mc Do ») radicalement différents les uns des autres. « Nous tentons de « varier les plaisirs », notamment dans les villes où Mc Donald's est largement implanté, explique Philippe Labbé, directeur général France. Nous alternons et adaptons nos concepts en fonction de leur environnement proche (université, complexe sportif, quartiers familiaux, etc), de manière à rompre une certaine monotonie et uniformisation ». Exit l'emblématique ambiance jaune-blanc-rouge. Place à des concepts capables de répondre aux différentes envies de la journée, tout en se fondant dans le paysage. Mc Do n'innove pas fondamentalement, mais il est l'un des premiers dans le secteur du fast food à pousser aussi loin la démarche. Il y avait urgence. Après avoir essuyé les crises de la vache folle, les attaques des altermondialistes, ou des grévistes, la marque n'était pas au mieux de sa forme. Aujourd'hui, sur le millier de restaurants que compte la France, plus de 400 ont été réaménagés et enregistrent des améliorations très nettes de leur chiffre d'affaires (plus de 10 à 15 %). Forte de ces premiers succès, l'enseigne teste actuellement un tout nouveau concept de « mini-restaurants », les Mc Do., destinés à renforcer l'implantation du groupe au coeur des villes.

Bien maîtriser sa marque et son image
Cette stratégie d'identification des points de vente fait école, aussi bien du côté des grandes enseignes que des designers. « On peut se demander si avec certaines marques fortes, on ne pourrait pas par exemple jouer avec le logo, les couleurs, le concept, en fonction des lieux, des villes, mais aussi selon l'heure de la journée ou le temps qu'il fait. Evidemment c'est de la haute voltige. Il faut faire très attention, bien maîtriser sa marque et son image, mais ce serait un remède très attractif et beaucoup plus humain contre la standardisation. »
Locomotive des rues commerçantes, la Fnac, elle, a choisi une autre forme de rupture. Alors que l'enseigne semblait se contenter jusqu'ici de faire doucement évoluer son design, « l'agitateur public » fait aujourd'hui un bond en avant avec son magasin de Bordeaux. Ouvert le 20 juin dernier, ce concept inédit va au-delà du lieu de vie pour devenir lieu d'expériences. « Depuis ses débuts la Fnac est l'un des seuls magasins de centre ville où les gens se donnent rendez-vous, viennent lire, dis-cuter, flâner, etc. C'est cet esprit convivial que nous voulons renforcer dans les aménagements de nos concepts, » expliquait Denis Olivennes, président de la Fnac, lors de l'inauguration à Bordeaux. Avec l'agence Interbrand (également à l'origine des concepts des magasins Nature et Découverte, Séphora, Résonnance, etc), l'enseigne parie sur l'aménagement de zones de détente, de cafés, d'espaces d'exposition, de galeries photos. Elle joue également la carte des couleurs (jaune, rouge, vert, bleu, etc) dans ses allées et ses rayons autrefois gris, noirs ou blancs. Enfin, elle tente l'expérience d'un changement d'ambiance en fonction des heures de la journée grâce à un éclairage coloré situé à l'entrée du magasin, qui passe d'un moment à l'autre du rose au bleu, du bleu au vert, etc.
Au-delà du travail sur les couleurs, les matières et l'éclairage, le design architectural et commercial négocie un nouveau virage. Demain, les couleurs, les tissus ou les matériaux à la mode ne suffiront plus à fidéliser le consommateur. Il s'agira plutôt d'offrir une ambiance, des services spécifiques, de proposer des idées parfois très éloignées de l'esprit de la marque, et de travailler plus en profondeur le message et la promesse de l'enseigne. Il sera alors moins question de décoration que de découverte. « Promettre au consommateur de vivre une expérience au sein d'un magasin crée une forte attractivité », assure Joël Desgrippes. La démarche peut permettre, selon lui, d'augmenter jusqu'à 30 % le taux de fréquentation du lieu. Et donc le prix moyen du panier d'achats.
Sophie Stadler

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