23/01/2004

Ces marques qui snobent la pub

Dossier publié en 2003 dans la rubrique "tendances" de l'Usine Nouvelle

Ces marques qui snobent la pub

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Le tapage publicitaire aurait-il vécu ? Des marques comme Corolle, Bang & Olufsen ou Le Coq Sportif tentent de communiquer autrement. Quand la page « pub à outrance» se tourne au profit de la confidentialité...

D'un côté, les Dior, les L'Oréal, les Nike continuent à jouer les publivores. Au risque de lasser un consommateur de plus en plus méfiant et exigeant. De l'autre, des marques plus modestes ou plus jeunes tentent de séduire sans avoir recours à la publicité outrancière. Et réussissent à venir chatouiller les mastodontes sur leur propre terrain. Les « No Logo » et autre « Livre Noir de la Pub » (Naomi Klein et Florence Amalou) auraient-ils eu raison de la sur-communication des marques ? Le « trop de pub, tue la pub » scandé il y a quelques années par Jacques Séguéla serait-il devenu une réalité pour les marques et leurs conseillers en communication ? « On arrive aujourd'hui au paradoxe suivant, il existe d'un côté des grandes marques, standardisées et internationales, et de l'autre des consommateurs qui éprouvent un désir d'individualisation, d'humain et d'unique », analyse Jolanta Bak, de l'agence conseil en innovations Intuition. Une brèche dans laquelle s'engouffrent avec bonheur les marques élitistes ou celles qui n'ont tout simplement pas les moyens de consacrer des millions d'euros à leur pub. Explications sur les pratiques de ces trublions qui réussissent le tour de force d'afficher, sans publicité, des notoriétés enviables.
Leur point commun ? Ces marques de taille relativement modeste tiennent à le rester. « Depuis quelques années, nous revenons très fort grâce à la mode de la rue. Mais nous savons que notre véritable " boom " n'aura jamais lieu. Et ce n'est pas notre but. Même si nous ne sommes pas des philantropes ! », ose affirmer Henriette Lopy, responsable du marketing de New Balance. De marketing, il n'est d'ailleurs pas vraiment question chez ce spécialiste de la chaussure de sport haut de gamme. « Nous avons tendance à nous focaliser sur des idées qui ne sont pas forcément très vendeuses, comme par exemple la largeur des chaussures, précise Henriette Lopy. Pour chacune d'elles, jusqu'à quatre largeurs sont disponibles. »
Mais il ne faut pas s'y tromper. Si des marques comme New Balance misent sur le perfectionnisme et une relative discrétion, et si d'autres, comme Agnès b., Body Shop ou Courrèges décident de ne pas (ou peu) faire de pub pour des raisons éthico-philosophiques, la plupart s'en passent pour cause de « budget serré ». Aux laboratoires La Prairie (groupe Beiersdorf), la publicité est considérée comme « vulgaire ». Mais les messages alternatifs permettent à la société d'économiser de précieux deniers et de se consacrer à l'innovation. « Nous avons toujours préféré investir dans la recherche ou dans le packaging. Pour nous, qui restons volontairement une petite marque de niche, totalement atypique dans le secteur des cosmétiques avec un positionnement haut de gamme à la fois luxueux et scientifique, investir dans la publicité provoquerait une déperdition d'argent », explique Françoise Chapot, la directrice du marketing des laboratoires. Economies aussi chez le fabricant de poupées Corolle. « Nous sommes une PME qui n'a pas les moyens de s'offrir de campagnes publicitaires », explique clairement Dorothée Dehec, la responsable du marketing.

Parier sur la personnalisation ...voire l'élitisme

Mais comment vendre ses produits et se faire connaître en évitant le tapage publicitaire ? Le but du jeu est de développer d'autres moyens de communication, souvent plus discrets, mais plus ciblés, et surtout beaucoup moins onéreux que la publicité pure. « Nous préférons investir dans le marketing direct et les partenariats afin de toucher directement nos cibles », explique-t-on chez le fabricant de poupées Corolle qui propose par exemple des concours aux revendeurs spécialisés. Même approche chez Timberland, Bang & Olufsen et autres Coq Sportif. Toutes ces marques rivalisent d'ingéniosité pour personnaliser et optimiser des moyens de communication. Elles font appel aux mailings, aux catalogues, aux jeux concours, mais aussi à la PLV (promotion sur le lieu de vente), au sponsoring, à l'événementiel ou aux relations presse. « Nos principaux outils restent les vitrines de nos magasins qui sont pour nous des médias à part entière, notre réseau de franchisés, les événements, et surtout les relations presse », explique Corine Poncey, responsable du marketing de Timberland, une marque qui fait de la pub, mais sans matraquage, toujours dans la presse ou en affichage local, mais jamais à la télévision. « Nous appliquons une stratégie de bouche à oreille depuis vingt-cinq ans, indique Françoise Chapot, des laboratoires La Prairie. Notre clientèle est très restreinte, il est donc préférable de miser sur les outils alternatifs et de favoriser les contacts directs : envois d'échantillons, formations des conseillères de magasin, mailings. »

Se faire discret et rare pour mieux se faire désirer

On le voit, toutes ces techniques n'ont rien de révolutionnaire. « Ce qui est nouveau, explique Jean-François Le Louët, directeur général de l'agence de style Nelly Rodi, c'est l'ampleur qu'a pris le phénomène. Tout semble être parti du luxe, qui a enrichi et diversifié ses outils de communication. Et son approche se propage à tous les autres secteurs ». La marque des créateurs Marithé + François Girbaud casse par exemple les codes de son métier pour étonner et attiser la curiosité des « fashion victims ». « Nous cherchons des codes en décalage avec ceux du prêt-à-porter. Nous essayons, de créer pour nos vitrines et pour notre site internet, une communication qui ne ressemble jamais à celle de nos concurrents », souligne Murielle de Lamarzelle, responsable de la communication.
Autre moyen de faire parler de soi : se faire discret pour mieux se faire désirer. On peut même aller jusqu'à « l'hyperconfidentialité » en tentant de se faire reconnaître et apprécier par une fraction très ciblée de la population. Ainsi, chez Bang & Olufsen, les produits font des apparitions quasi subliminales dans des émissions de télévision plutôt chics et intellos (En Aparté sur Canal+), dans des films grand public où les héros appartiennent clairement à la clientèle-cible de la marque (un richissime Tom Cruise dans « Eyes Wide Shut »), ou utilisent la publicité à condition qu'elle reste sobre et distinguée et qu'elle s'affiche uniquement dans les pages de prestigieux magazines. « Nos campagnes, nos partenariats ou nos événements sont toujours très ciblés, nous n'avons pas besoin de parler « lourdement », explique Alberto de Lucio, directeur général France de Bang & Olufsen. Notre communication doit rester élégante et minimaliste, comme le sont nos produits. »
Ce cocktail d'élitisme et de discrétion BCBG, la boutique parisienne Colette, qui détecte et fait les tendances, l'exploite à fond. « Les marques comme Le Coq Sportif ou les jeunes créateurs et designers comme Your Tailor is Rich, Griffin ou Maharishi qui n'ont pas de gros budgets vont ainsi essayer de créer un «buzz », explique Guillaume Salmon, chargé de la communication du magasin. Elles vont tenter d'être vendues en exclusivité dans certaines boutiques pour réussir à jouer sur la rareté. Elles vont également lancer des éditions limitées, des séries collectors. » Dans cette communication branchée, le bouche à oreille, la presse et la rue remplacent les campagnes et les vecteurs de communication traditionnels. En Alsace, au siège du Coq Sportif, cette stratégie est clairement affichée. Un département « life style » a été spécialement dédié aux produits destinés à courir les lieux urbano-branchés. « C'est la rue qui nous a fait revenir sur le devant de la scène depuis un peu plus de deux ans, commente Sandra Demont, directrice du marketing. Ce succès nous permet de ne pas dépenser d'argent en publicité et d'investir dans nos concepts et nos lignes " sport ", où nous souhaitons conserver toute notre légitimité. »
Les relations tissées avec les médias redeviennent le meilleur moyen de faire parler de sa marque. Une tendance de fond en phase avec les attentes du public. « Si la communication publicitaire est désormais relativement inefficace dans ses formes classiques, c'est parce que le consommateur est devenu expert et qu'il est conscient des manipulations possibles, commente Jolanta Bak, chez Intuition. L'époque est à la méfiance envers les autorités établies. On se tourne donc vers d'autres sources : les experts, les proches, les collègues et les journalistes ! »
Moins chère, en phase avec les nouvelles attentes du public la communication alternative et le « zéro tapage publicitaire » présente bien des avantages.

Mais la méthode a ses limites.

« Elle donne l'impression à chacun d'être le seul à avoir accès à telle ou telle marque. Cependant, tout risque de se compliquer dès lors que le système fonctionnera trop bien», analyse Xavier Charpentier directeur du planning stratégique chez Publicis Conseil. Sans doute prêche-t-il pour sa paroisse. Mais il y a effectivement danger de voir le confidentiel perdre son effet de rareté, d'inaccessibilité, pour devenir un « confidentiel de masses ». Enfin, par nature, il limite l'audience. « Les marques qui jouent la carte de la confidentialité et du « moins de pub » construisent aussi moins vite leur notoriété », rappelle Xavier Charpentier. Pour lui, pas de doute : les effets sur les ventes de la communication alternative sont beaucoup moins efficaces que l'impact immédiat de la publicité. Ainsi, Bang & Olufsen rencontrerait quelques difficultés à conquérir le marché français et conserverait une image de marque froide et peu abordable. De son côté, New Balance a depuis peu recours à une publicité discrète (surtout en presse spécialisée) pour élargir sa cible et recruter de nouveaux consommateurs. « L'idée était d'atteindre le marché des coureurs occasionnels, explique Henriette Lopy. Cet élargissement de cible nous a poussés à faire de la publicité. C'est aussi un souci " d'éducation " : la pub nous permet d'expliquer les particularités de nos produits et de nos technologies. »
Enfin, pour des marques plus récentes et encore inconnues, qui cherchent à émerger rapidement, la tentation de l'économie de publicité peut coûter très cher... Elles risquent tout simplement de ne jamais décoller ! Reste la solution du compromis : « L'avenir est à la communication holistique, explique Xavier Charpentier. C'est-à-dire à l'utilisation de tous les moyens de communication existants, sans prépondérance de l'un sur tous les autres. » Bref, selon lui, il faut trouver le moyen de parler à beaucoup de gens sans assourdir tout le monde.
Sophie Stadler

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